Monsieur le ministre Mary Teuw Niane,
Je ne partage pas votre opinion sur la laïcité de l’État. La laïcité n’est pas synonyme d’extraversion ou de perversion. Elle organise la relation entre l’État et les religions.
Elle repose sur deux piliers essentiels : l’absence de religion d’État et la liberté de conscience et de culte. Au Sénégal elle s’analyse comme un positionnement équidistant de l’État par rapport à toutes les religions et à toutes les confréries. C’est une laïcité de collaboration entre le politique et le religieux et non point une laïcité de séparation stricte entre le spirituel et le temporel, et qui est tout à fait en phase avec nos réalités socioculturelles et historiques. La Constitution n’a procédé qu’à une formulation-formalisation de celles-ci.
Plus qu’une sénégalisation, il y a une sénégalité originelle de la laïcité. Car les marabouts ont toujours été dans les cours royales comme secrétaires, cadis, préparateurs mystiques, parfois administrateurs de province, gérants de communautés autonomes avec pour règle non écrite de ne pas s’immiscer dans les conflits de pouvoir. Pendant la colonisation les marabouts ont permis une acceptation plus facile de l’ordre sociopolitique impérial ; ce que Cruise O’Brien appelle le contrat social sénégalais, fondé sur les travaux de Paul Marty : Études sur l’islam au Sénégal en 1917.
A l’indépendance c’est ce modèle qui continue en ce sens que le Président Senghor a été soutenu par toutes les confréries religieuses bien qu’étant catholique. Cette collaboration s’est poursuivie jusqu’à la fin du ndigël enclenchée à partir de 1988. Aujourd’hui la laïcité est une garantie essentielle pour la paix sociale et la concorde nationale ; elle revêt une dimension cruciale de régulation entre les différentes religions, entre les différentes confréries, et entre celles-ci et les mouvements salafistes et wakhabites qui de plus en plus remettent en cause les fondements idéologiques et religieux des confréries.
Il ne faut pas verser dans les raccourcis sur la laïcité pour des considérations populistes et électoralistes.
Si brillant mathématicien que vous êtes, cela ne vous épargne pas d’apprendre l’histoire et les réalités socioculturelles sur la laïcité au Sénégal, surtout que vous avez la prétention de diriger le pays !
ERRARE HUMANUM EST PERSEVERARE DIABOLICUM !
Merci beaucoup
Maurice Soudieck DIONE, enseignant à l’UFR SJP de l’UGB